La
question de la télé-réalité est souvent abordée dans un sens
qualitatif, mais très rarement sous l’angle quantitatif. S’il existe
de nombreuses études sur l’origine sociale des candidats, elles sont
plus rares à poser la question suivante: à quelle échelle se situe la
sélection de la «normalité».
Selon nos calculs, ce sont plus de 2.017.000 candidatures qui ont été
reçues par les productions, entre 2001 et mars 2014, pour
seulement 3.500 personnes effectivement admises à participer aux
émissions.
Deuxième surprise, il n’y a pas de corrélation entre le temps et
l’augmentation ou la diminution du nombre de personnes castées. On
remarque d’ailleurs que le pic de candidature date de Loft Story 2 en
2001. Il n’y a ni tendance à l’essoufflement ni intérêt croissant,
les variations de la courbe des castés et de celle des candidats semblent plutôt influencées par les suppressions et reprises d’émissions.
Grande disparité de sélection entre les émissions
Si toutes les émissions possèdent des objets variés, elles possèdent
également des stratégies de castings différentes. Ainsi, l’émission la
moins sévère ou ciblant le plus ses candidats est —logiquement ?— Top
chef avec 33 castés pour 1 place en 2011.
Des émissions comme Top Model (2007), ou l’Ile de la tentation
(2007), Maman cherche l’amour (2008) sont sensiblement plus sélectives
avec environ 0,5% d’admis. En moyenne, les émissions oscillent entre
0,1% en 2003 et 0,3% en 2012.
La palme de l’émission la plus attractive et la plus élitiste revient
à Loft Story 2: la production déclare avoir reçu 200.000 candidatures
au total, de toutes formes, pour 13 places. Ce qui donne 15.384
candidatures pour 1 place.
Le nombre de candidats fait partie de la mécanique de jeu, par
conséquent, il est susceptible d’être gonflé pour donner la mesure du
défi. Le téléspectateur doit être mis à distance par une logique
d’éviction/élection, qui rend d’autant plus enviable les participants au
jeu.
Ce fait est d’autant plus vérifiable lorsqu’il s’agit de jeux
appuyant sur le glamour, ou de télé-crochet. Par ailleurs, dans une
logique de prestige, plus le ratio entre les sélectionnés et le nombre
de candidats est faible, plus cela rend aisé la chasse aux futurs
candidats d’une saison sur l’autre: c’est le ressort narcissique de la
candidature qui est aussi à la base de la variété attendue par les
professionnels du secteur.
Plus élitistes que les grandes écoles
Sur la période le taux de sélection moyen par année tend vers zéro,
la moyenne pour toutes les émissions est de 920 candidats par place.
Le tableau ci-dessus compare les taux de sélection de trois grandes
écoles avec le programme Mars One et Secret Story. Seul le programme Bas
Lansdorp est comparable aux grandes émissions de télé-réalité, avec un
nombre de sélections autour de 0,01%, contre 3% pour l’ENA, 7% pour HEC
et 10% pour Sciences Po.
Bien sûr, l’engagement pour passer un concours est plus intense que
celui demandé pour télécharger et remplir un dossier de candidature.
Mais l’important dans ce rapport entre télé-réalité et grandes écoles,
c’est finalement le résultat contre-intuitif, qui amène naturellement
cette question: comment la sélection d’une forme fantasmée de
normalité peut être plus pointue que la sélection des élites
dirigeantes.
Il ne s’agit pas que d’une question de volume, puisque même pour les
émissions plus modestes, dans des ordres de grandeurs comparables à ceux
des grandes écoles, le pourcentage de vainqueur reste inférieur. En
tout cas, si vous envisagiez de suivre les traces de Nabila et devenir
une icône pop, envisagez plutôt une carrière de PDG, c’est plus
raisonnable.
Draft
Cet article a déjà été publié sur le site du magazine en ligne Draft.